dimanche 24 mars 2013

Les gens heureux n'ont pas d'histoire....


...sauf lorsqu'à l'apogée de leur bonheur, ils meurent d'une balle dans la tête.


Et c'est là le centre de l'intrigue des Morts de la Saint-Jean de l'écrivain suédois Henning Mankell.

Un tueur fou s'en prend à un groupe de jeunes gens. À un couple de jeunes mariés. Des personnes qui, a priori, n'ont aucun lien entre eux. 


Wallander connaît ici l'une de ses plus difficiles enquêtes.



Enquête et règlements de comptes



Une enquête d'autant plus difficile que Svedberg, collègue et ami de Wallander, est retrouvé mort chez lui, tué à coups de carabine et atrocement mutilé.

Pas besoin d'attendre très longtemps avant de découvrir que ces deux affaires sont liées. Que Svedberg avait trouvé l'identité du tueur, et que cette découverte lui a coûté la vie.

Au milieu des mises en scènes macabres, on prend un immense plaisir à retrouver Wallander, et son petit univers de Scanie.

L'homme n'est pas au meilleur de sa forme, il se découvre malade. Ses amis veulent quitter la Suède, et lui ne cesse de déchanter face à la société dans laquelle il vit.



« L’espace d’un instant Wallander éprouva une gigantesque amertume. Il avait été policier toute sa vie. Il pensait avoir contribué à protéger ses concitoyens. Mais tout avait empiré autour de lui. La violence avait augmenté. La Suède était devenue un pays où les portes fermées devenaient de plus en plus nombreuses. Parfois, il pensait à son trousseau de clés. D’année en année, le nombre de clé augmentait. De plus en plus de serrures, de plus en plus de codes d’accès. Et au milieu de toutes ces clés, une nouvelle société émergeait, à laquelle il se sentait de plus en plus étranger. »


La décadence de la Suède, une rengaine que l'on retrouvera dans les autres romans d'Henning Mankell, tout comme l'amertume de Wallander, et sa volonté de changer de vie.


Une plume acérée



L'art d'Henning Mankell, c'est aussi celui d'emmener son lecteur dans deux univers : celui de Wallander, où les habitués de la saga ont déjà leurs repères, mais aussi celui du tueur, qui reste perpétuellement anonyme.

Une intrigue complexe mais une écriture fluide, une trame recherchée mais loin d'être cousue de fil blanc : ce roman est, selon moi, l'un des meilleurs que j'aie pu lire de Henning Mankell.


Voir un extrait de l'adaptation Morts de la Saint-Jean par Philip Martin, avec Kenneth Brannagh dans le rôle de Wallander. 

samedi 16 mars 2013

Seznec, un siècle de mystère judiciaire

Vendredi 15 mars, Video les beaux jours organisait une nouvelle projection sur le thème « Filmer la justice ». Le 2 juin 1967, l'émission Cinq colonnes à la une était consacrée à l'affaire Guillaume Seznec.

C'est une affaire comme il en existe peu. Une affaire qui, près d'un siècle après, connaît encore de nombreuses zones d'ombres. 




Le 25 mai 1923, Guillaume Seznec et Pierre Quéméneur, deux notables bretons, quittent Rennes pour Paris. Mais Pierre Quéméneur n'est jamais revenu. En novembre 1924, au terme de huit jours de procès, Guillaume Seznec est condamné aux travaux forcés à perpétuité, et part pour la Guyane. Il ne rentrera en France qu'en 1947.




Une culpabilité évidente ?


Premier mystère de cette affaire : Pierre Quéméneur a-t-il vraiment été tué ? Est-il seulement mort ? Personne n'a jamais retrouvé de corps.

En revanche, on a retrouvé sa valise, tâchée de sang, à la gare du Havre. Valise qui contenait les papiers du disparu, ainsi qu'une promesse de vente d'une propriété appartenant à Quéméneur au profit de Seznec.

Deuxième interrogation : pourquoi Guillaume Seznec dit-il avoir laissé Quéméneur à la gare de Dreux, avant de revenir sur cette affirmation ? Les nombreuses contradictions dans ses dépositions ont alors fait de lui un coupable évident.



Le mystérieux 13 juin 1923

Ce jour là, un télégramme est envoyé du Havre à la famille Quéméneur : « Ne rentrerai Landerneau que dans quelques jours tout va pour le mieux - Quéméneur ». Ce télégramme a-t-il été signé par Quéméneur lui-même ?

Plus étrange encore, plusieurs témoins disent avoir vu Seznec au Havre ce jour-là. Il aurait acheté une machine à écrire, celle que les policiers soupçonnent avoir servi à rédiger la fameuse fausse promesse de vente.

D'autres en revanche affirment avoir vu Seznec à Paris, ce même 13 juin 1923, et d'autres encore disent qu'il était chez lui, en Bretagne. 




La piste de la machination policière

Le 6 juillet, les policiers arrivent pour perquisitionner la scierie de Guillaume Seznec. Ils y trouvent une machine à écrire, cachée. Celle qui aurait été achetée au Havre, quelques semaines plus tôt. 

Or, la fille de Seznec est affirmative : ni leur père, ni leur mère n'était présents lors de la perquisition. Le jeune fils de Seznec, Albert, aurait même affirmé que les policiers -notamment l'inspecteur stagiaire Pierre Bonny - avaient eux-même placé la machine à cet endroit. Mais il n'a jamais été cru, ni entendu lors du procès. 




Une certaine idée de la justice

Frédéric Pottecher, comme à son habitude, ne fait pas que commenter les faits. Il juge aussi. À une époque où les journalistes pouvaient encore se permettre de donner leur avis au public.

« Certes, il y a des faits », énonce-t-il. « Mais cela apporte-t-il suffisamment de certitudes ? Cela suffit-il pour condamner un homme au bagne à perpétuité ? »

La conclusion de Frédéric Pottecher tombe comme un couperet.

« Est-ce vraiment l'idée que vous vous faites de la justice ? »

Depuis l'affaire, quatorze demandes de réhabilitation ont été déposées, la dernière en 2006. Elles ont toutes été refusées.

Il existe aujourd'hui une « loi Seznec », loi du 23 juin 1989, obtenue par le petit-fils de Guillaume, Denis Seznec. Elle permet de faciliter la procédure de révision d'un procès criminel.

vendredi 15 mars 2013

Dominici, Patrick Henry, Ranucci et les autres

Du 11 au 22 mars, l'association Vidéo les beaux jours organise une série de projections- débats sur le thème « Filmer la justice ». Au programme mercredi 13 mars : l'émission Trente ans de télévision sur le thème « Trente ans de faits-divers ».


L'arrestation de Lucien Léger, le 5 juillet 1964

« Le faits-divers, c'est comme une déchirure à travers laquelle une société se révèle ». Ainsi commence Gilles Perrault, qui entame ainsi cette immense rétrospective des plus grands faits-divers de 1954 à 1987.

Le journaliste commente et analyse, à travers les images d'archive, la façon dont la télévision s'est emparée du faits-divers.


Arrestation en direct



D'abord, des interviews exclusives : pour la première fois, on autorise à filmer un accusé pour Cinq Colonnes à la une. Cet accusé, c'est Gaston Dominici, dans la cour de la prison des Baumettes. Quelques années plus tard, c'est Marie Besnard, « l'empoisonneuse », qui s'exprime face aux Français : « Je voudrais que vous puissiez penser une minute seulement que je suis innocente ».
En 1964, c'est une petite révolution télévisuelle : Lucien Léger, « l'étrangleur » du petit Luc Taron, 11 ans, est arrêté en direct pendant le journal de 20 heures.

Des images qu'on ne pourrait plus voir aujourd'hui (voir photo ci-dessus). Depuis la loi Guigou, en 2000, il est désormais interdit de montrer des personnes menottées. Alors que Lucien Léger, lui exhibe clairement ses menottes, comme un pied-de-nez à la famille de la victime. Ce soir, la star, c'est lui.


« La France a peur »



Le pouvoir de la télévision commence à se faire sentir. L'opinion publique réagit, et les acteurs du petit écran font tout pour cela.

L'affaire de Bruay-en-Artois, en 1972, montre la force de l'opinion publique. Après le meurtre de Brigitte Dewevre, une jeune femme, la colère est exacerbée. « Menteur ! Assassin ! » crie la foule derrière la voiture qui emporte le notaire Pierre Leroy, principal suspect à l'époque, au palais de justice.


6 avril 1972 : l'affaire de Bruay-en-Artois éclate par France3Nord-Pas-de-Calais

Mais la force des médias se retrouve surtout ce 18 février 1976. « La France a peur », scande Roger Gicquel lors du JT. Le petit Philippe est mort. « L'affaire Patrick Henry » prend des proportions incontrôlables.



C'est dans ce contexte qu'est jugé, puis condamné Christian Ranucci, le 28 juillet 1976.



Mais Gilles Perrault est, dans cette affaire, juge et partie. En tant que présentateur de cette émission, il n'hésite pas à condamner les médias, qu'il tient responsables de la mise à mort de Ranucci. Un jeune homme accusé à tort selon lui, thèse qu'il développe dans son livre Le Pull-over rouge.


Sensationnalisme



En 1979, c'est la mort de Mesrine et son cadavre au volant de sa voiture qui sont montrés, sans tabou, sur le petit écran. Alors qu'en arrière-plan on voit l'évacuation du corps, les reporters sont sur place, porte de Clignancourt, pour commenter l'événement. Même mort, Mesrine est une star.


LA MORT DE JACQUES MESRINE LE 2 NOVENBRE 1979 A... par mafia93370


Ce documentaire est un bon plaidoyer contre la peine de mort. Il montre, à travers l'évolution de ces faits-divers dans les médias, l'évolution de l'opinion publique elle-même.

Dommage cependant que soient éludées certaines affaires au puissant retentissement médiatique, comme l'enlèvement du Baron Empain, en 1978, ou l'affaire Grégory, en 1984, à peine évoquée.

À travers ces trente ans de télévision, on voit bien, cependant, quel contre-pouvoir peuvent représenter les médias face à une justice souvent intransigeante et parfois défaillante.

lundi 11 mars 2013

« Victor, mauvais sort... »

Sur les trottoirs de Paris, depuis quelques mois, fleurissent d'étranges cercles bleus. À l'intérieur, divers objets. Puis des petits animaux : une souris. Un chat...


« Cette nuit, Paris avait connu deux cercles. Le premier avait été tracé rue du Moulin-Vert et c'est un agent qui l'avait repéré, ravi de sa ronde. L'autre avait été signalé dans le même quartier, rue Froidevaux, par une femme qui était venue se plaindre, parce qu'elle trouvait que ça commençait à bien faire. »

Et dans les cercles, cette phrase, toujours, comme une comptine lancinante : « Victor, mauvais sort, que fais-tu dehors ? »


Visuel de couverture pour les éditions Magnard / Delphine Cordier


Le commissaire Adamsberg est inquiet. Il ne croit pas à une mauvaise plaisanterie. Et son flair ne le trompe pas : bientôt, c'est une femme égorgée qu'on retrouve à l'intérieur d'un cercle.

C'est dans L'homme aux cercles bleus qu'on fait, pour la première fois dans l'oeuvre de Fred Vargas, connaissance avec le commissaire Adamsberg. Un personnage singulier, sensible et solitaire.


« Adamsberg marcha jusqu'au soir. C'était l'unique façon qu'il avait trouvée pour faire le tri dans ses pensées. Comme si grâce au mouvement de la marche, les pensées se trouvaient ballottées comme des particules dans un liquide. Si bien que les plus lourdes tombaient au fond et que les plus fines restaient surface. Au bout du compte, il n'en tirait pas de conclusion définitive, mais un tableau décanté de ses idées, organisées par ordre de gravité. »

La particularité du commissaire, c'est son intuition hors pair, qui lui permet de résoudre les affaires. Petit à petit, Fred Vargas nous le dévoile, tout en laissant planer le mystère sur son passé. Un passé qu'on connaîtra de mieux en mieux, au fil des autres romans de Fred Vargas.

En 2009, Josée Dayan a fait une adaptation de L'homme aux cercles bleus.


L'homme aux cercles bleus (France 2) : bande... par Tele-Loisirs

Dans le rôle d'Adamsberg, le ténébreux Jean-Hugues Anglade. Comme dans le roman, il est accompagné de ses acolytes, Danglard (Jacques Spiesser) et Violette Retancourt (Corinne Masiero).

jeudi 7 mars 2013

J'habite à côté du Star

À Strasbourg, le Star est une institution. Comme cinéma, parce qu'il draine chaque jour des centaines de spectateurs. Mais aussi comme le lieu d'un meurtre atroce. Une affaire qui, de 1995 à 2001, a défrayé la chronique dans la capitale alsacienne.

L'entrée du Star, rue-du-Jeu-des-Enfants, Strasbourg / Julie L.

Étrange disparition


17 mai 1995. Le projectionniste du cinéma, Roland Moog, reçoit un appel sur son lieu de travail. Sa compagne, Carole Prin, est sur le point d'accoucher, elle part pour la clinique. Roland Moog doit l'y rejoindre dès qu'il a trouvé quelqu'un pour le remplacer.

Mais Carole Prin n'arrive jamais à la clinique. Les enquêteurs sont inquiets : a-t-elle été enlevée sur le chemin de l'hôpital ? Ils ont du mal à y croire. Roland Moog, lui, ne semble montrer ni inquiétude, ni émotion quelconque. Il devient le suspect n°1 des policiers. Mais les enquêteurs n'ont aucune preuve pour l'inculper.

Preuve manquante


Mars 1999. Presque quatre ans sont passés depuis la disparition de Carole Prin, et toujours aucune trace de la jeune femme. Roland Moog est pourtant en prison depuis trois mois. La juge d'instruction l'a mis en examen en décembre 1998 : trop de soupçons pesaient sur lui.

C'est alors que le frère jumeau et un ami de Roland Moog font la macabre découverte. En vidant le garage de cet ami, les deux hommes découvrent une malle appartenant à Roland Moog. À l'intérieur : des os et des cheveux. Quelques jours plus tard, Daniel Moog va dénoncer son frère à la juge d'instruction. Les enquêteurs ont la preuve qui leur manquait.

Coupable


Novembre 2001. Le procès de Roland Moog s'ouvre devant la Cour d'Assises du Bas-Rhin. À la barre, il réitère les aveux qu'il a fait aux enquêteurs deux ans plus tôt : Carole Prin et lui se sont disputés dans la cave du Star. Elle voulait le quitter après la naissance de l'enfant. Il n'a pas supporté, il lui a tiré une balle dans la tête.

Des éléments que remettent en cause la partie civile et l'avocat général. Si Carole Prin avait été tuée dans la cave du Star, en pleine journée, les spectateurs auraient entendu la détonation. Par ailleurs, les enquêteurs n'ont retrouvé aucune trace de sang ni de matière humaine dans la cave. En revanche, avec le corps, des débris végétaux pouvant provenir de la forêt.

Cadavre déplacé


Ce qui est sûr, toutefois, c'est que le corps de Carole Prin a bien été emballé dans des sacs, puis emmuré dans la cave du Star. Jusqu'à ce que Roland Moog apprenne qu'une perquisition doive y avoir lieu, et ne déplace le corps dans la fameuse malle.

Le 7 décembre 2001, au terme de neuf jours de procès, Roland Moog est condamné à 25 ans de réclusion criminelle, avec 15 ans de sûreté. Mais on ne sait toujours pas pourquoi le projectionniste a tué sa compagne. Avait-il peur que la venue de l'enfant ne trouble sa double vie bien rangée ?

Pendant des mois, les spectateurs qui quittaient les salles sont donc passés tout près du cadavre de Carole Prin. Aujourd'hui encore, les spectateurs qui quittent les salles passent tout près de l'endroit où, il y a quelques années, était emmuré le corps d'une femme qui s'apprêtait à donner la vie.

Je fais régulièrement partie de ces spectateurs. Bref, j'habite à côté du Star.



Pour en savoir plus sur l'affaire :


Faites entrer l'accusé a consacré l'un de ses meilleurs épisodes à cette affaire, le 25 octobre 2009


France Culture, Sur les Docks, « Roland Moog, projectionniste au Star », un documentaire de Christophe Deleu et François Teste, 7 mars 2006

Europe 1, Café Crimes de Jacques Pradel, 5 mars 2010